Auriez-vous organisé une mission en Afrique du Sud de l’apartheid ?

Auriez-vous organisé une mission en Afrique du Sud de l’apartheid ?

Michel Warschawski, journaliste et militant de gauche israélien pose cette question dans une lettre ouverte aux députés et sénateurs d’EELV après leur visite en Israël

Ce n’est qu’au cours d’une récente tournée en France que j’ai appris qu’une délégation d’élus d’EELV est allée en Israël. Autant dire qu’en Israël, où je me trouvais à ce moment, on a fait peu cas de cette visite. Mais, au sein d’EELV, elle a provoqué des remous, et à juste titre : ce parti comporte des milliers de militant(e)s sensibles au déni de droit dont sont victimes les Palestiniens et impliqués dans les combats contre la politique coloniale israélienne. Une visite officielle d’élus n’est jamais une affaire personnelle et elle implique l’ensemble des militant(e)s. Comme l’ont ressenti de nombreux adhérents, cette dernière visite en Israël est tout simplement scandaleuse.

D’autant plus qu’elle était organisée par Elnet, structure dont l’objectif déclaré est de renforcer les liens entre Israël et l’Europe. Et le programme a bien reflété cet objectif. Le fait que la délégation ait fait un détour par Ramallah et y rencontre quelques officiels ne fait qu’aggraver l’affaire, qui nous rappelle ces rares visiteurs de l’Afrique du Sud auxquels on faisait aussi visiter les bantoustans et rencontrer leurs roitelets.

La délégation a pu voir les réalisations écologiques israéliennes, comme la décharge de Hiriyye près de Tel-Aviv. Mais qu’en a-t-il été de la mer Morte, victime de la surexploitation des phosphates ? Du Jourdain, asséché par le pompage de l’eau pour développer une agriculture extensive dans le Néguev ? Des forêts de pins plantées pour déposséder des villages palestiniens (en Israël même) de leurs terres et qui, de plus, provoquent l’acidité des sols ? Et, surtout, du vol de l’eau de centaines de villages palestiniens de Cisjordanie, détruisant ainsi l’agriculture palestinienne ?

Mais même en admettant qu’Israël puisse se targuer de réussites environnementales, est-ce suffisant pour faire l’impasse sur le contexte colonial de l’ensemble de la politique israélienne, y compris dans sa politique agricole ?

Que penseraient nos amis des Verts d’une délégation qui irait à Milan en 1932 pour écouter à la Scala un bel opéra de Puccini ou visiter Florence et ses merveilleux musées ? Ce serait perçu, au mieux comme de l’indécence, au pire comme une trahison envers les militants antifascistes et tous ceux qui œuvraient pour isoler le régime fasciste.

Et, sur place, qui sont allés voir Jean-Vincent Placé et ses amis ? L’ineffable Shimon Peres (entre autres pionnier du très écolo programme nucléaire israélien), le général Michael Herzog ou encore le responsable du (très écolo) programme de nettoyage ethnique du Néguev. À l’exception de la députée du Meretz Tamar Zandberg, la délégation n’a rencontré aucun anticolonialiste, voire des militants du mouvement social ou des représentants de la minorité palestinienne d’Israël.

La visite des élus d’EELV en Israël est à la fois indécente et une trahison de leurs propres militants, et ils sont nombreux impliqués dans la campagne BDS, qui organise le boycott de l’État colonial israélien. Gageons qu’ils vont demander des comptes à ceux de leurs élus qui ont accepté de se laisser piéger par Elnet ou, pire, qui ont participé à cette visite en toute connaissance de cause.

Michel Warschawski,