Le démantèlement administratif et le statut de la fonction publique sont-ils compatibles ?

Le démantèlement administratif et le statut de la fonction publique sont-ils compatibles ?

Une manipulation ministérielle

PAR ANICET LE PORS, CONSEILLER D’ETAT, ANCIEN MINISTRE DE LA FONCTION PUBLIQUE

Le ministre du Budget Éric Woerth, chargé – c’est tout un symbole – de la Fonction publique, a justifié la possibilité que s’arroge le gouvernement de licencier un fonctionnaire en expliquant que la possibilité de licencier des fonctionnaires placés en disponibilité et ayant refusé des offres d’emploi a été introduite dans le statut de la fonction publique en 1984, par le gouvernement de Pierre Mauroy. « Le ministre de la Fonction publique de l’époque, Anicet Le Pors, avait en effet considéré qu’un fonctionnaire qui refuse de nombreuses propositions de poste rompt de fait son engagement vis-à-vis du service public. »

La disponibilité est la position du fonctionnaire qui, placé hors de son administration ou service d’origine, cesse de bénéficier, dans cette position, de ses droits à l’avancement et à la retraite. Elle était prévue dès le statut de 1946, élaboré sous la direction de Maurice Thorez, ministre de la Fonction publique de l’époque, et prononcée dans deux cas  : soit d’office, soit à la demande de l’intéressé. D’office, à l’issue de certains congés maladie de longue durée  ; sur demande du fonctionnaire, dans le cas d’accident ou de maladie grave de son conjoint ou d’un enfant et, « à titre exceptionnel, pour convenances personnelles et pour recherches ou études présentant un intérêt général incontestable ». Il s’agissait donc de dispositions correspondant à des situations très particulières, restrictives, fortement encadrées dans leur justification et leur durée. Ces caractéristiques justifiaient qu’il ne soit pas fait un recours abusif à cette position, au détriment du service public. C’est pourquoi l’article 123 du statut général des fonctionnaires prévoyait que « le fonctionnaire mis en disponibilité, qui, lors de sa réintégration, refuse le poste qui lui est assigné, peut être rayé des cadres par licenciement après avis de la commission administrative paritaire ».

Le statut général des fonctionnaires élaboré en 1983-1984 a conservé la position de « disponibilité » parmi les différentes positions dans lesquelles peut être placé le fonctionnaire (activité, détachement, hors cadre, disponibilité, etc.). Mais, dans le même esprit où nous avons alors considéré la mobilité comme « garantie fondamentale » du fonctionnaire, il est apparu souhaitable d’assouplir les dispositions précédentes, sans modifier substantiellement les critères permettant l’accès à cette position  : sur demande de l’intéressé et à l’issue de l’expiration de certains congés maladie de longue durée définis avec précision. L’article 51 du statut général prévoit que, dans ces circonstances, « le fonctionnaire qui refuse successivement trois postes qui lui sont proposés en vue de sa réintégration peut être licencié après avis de la commission administrative paritaire ». Il s’agissait donc d’un assouplissement des dispositions antérieures dans des cas tout à fait spécifiques et qui n’ont connu qu’une application exceptionnelle.

Tout autre est l’usage qui est fait de modalités de ce type par le gouvernement, dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP) dont la mesure phare est le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, récusée par l’ensemble des organisations syndicales de fonctionnaires, tout comme par la Cour des comptes qui a dénoncé le caractère purement comptable de cette politique. Le décret du 11 février 2010, pris en application de la loi du 3 août 2009 relative à la mobilité des fonctionnaires, ne concerne en rien une demande individuelle du fonctionnaire ou les circonstances attachées à un congé de longue maladie, mais la politique de démantèlement administratif conduite par le président de la République et son gouvernement et les instruments qu’ils ont mis en place à cette fin, la Lolf (loi organique relative aux lois de finances), la RGPP et les lois dites de modernisation ou relatives à la mobilité. Qu’il me soit permis de rappeler que la période 1981-1984 a été marquée par la création de plusieurs dizaines de milliers d’emplois dans la fonction publique, un élargissement considérable des droits des fonctionnaires, une protection statutaire élargie aux fonctions publiques territoriales et hospitalières, et ce dans une concertation sans précédent à ce jour et, j’ose le dire, dans un climat de confiance qui ne niait pas les contradictions. Rien à voir avec ce qui se passe aujourd’hui. Le ministre de la Fonction publique décharge ainsi le pouvoir politique de sa responsabilité pour en faire subir les conséquences aux fonctionnaires victimes de cette même politique. Il se rend ainsi coupable d’un double détournement  : de sa responsabilité et des textes statutaires. C’est tout simplement malhonnête.