Déclaration de Daniel Paul sur le « Paquet énergie-climat »

Déclaration de Daniel Paul sur le « Paquet énergie-climat »

Daniel PAUL

Député de Seine-Maritime

Déclaration du gouvernement suivie d’un débat sur le « Paquet énergie-climat »
mardi 18 novembre 2008 – 1ère séance

Madame la Présidente, Madame et Messieurs les Ministres, Mes chers collègues,
Le 23 janvier 2008, La commission Européenne a présenté un ensemble appelé « paquet climat énergie » composé de 4 textes qui visent la réalisation d’un triple objectif :

  • diminuer de 20% les émissions de gaz à effet de serre,
  • réduire de 20% la consommation d’énergie,
  • passer à 20% la part des énergies renouvelables d’ici 2020.

Ces objectifs sont ambitieux mais nécessaires et on ne peut qu’approuver la décision de l’Union Européenne de s’engager dans une réduction de ses émissions de 20% d’ici à 2020. Décision d’autant plus urgente que, pour la première fois de notre histoire, l’activité humaine accélère un bouleversement climatique aux conséquences dramatiques.

Le rapport publié en février 2007 par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a démontré l’urgence à agir. Augmentation de la température mondiale de 1,8 à 4 degrés Celsius si aucune mesure correctrice n’est envisagée au cours de ce siècle. Des politiques européennes de l’énergie et des transports qui devraient entrainer une augmentation d’environ 5% des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030. Et le rapport Stern indique que la poursuite sans aucun contrôle de ces phénomènes, occasionnerait à long terme, des dommages dont les coûts seraient compris entre 5 et 20% du PIB mondial, bien plus que leur traitement ! Dès lors le choix est clair.

Or nous sommes aujourd’hui à l’aube de 2 conférences importantes : celle de Poznan qui se déroulera les 1er et 2 décembre 2008 et qui lancera la négociation de l’accord international sur le climat devant aboutir à la conférence de Copenhague en 2009 qui remplacera le protocole de Kyoto, pour l’après 2012.

Dans la préparation de ces échéances, tous les Etats européens « affichent » la nécessité de prendre des mesures fortes pour d’une part, réduire les émissions de gaz à effet de serre et d’autre part, adapter leurs pays aux évolutions climatiques qui sont en cours. C’est le sens, en France, de la loi du Grenelle de l’Environnement.

La France a fait du «paquet énergie-climat» un des grands enjeux de la Présidence Française de l’Union Européenne », selon les propres termes de la communication gouvernementale. L’objectif est de parvenir à un accord avant la fin de l’année.

Il ne faudrait cependant pas que des objectifs politiciens prennent le pas sur les nécessités à court, moyen et long termes. On nous dit que la crédibilité de l’Union Européenne en matière de lutte contre le changement climatique sur la scène internationale, dépendra en grande partie de sa capacité à trouver un accord sur le paquet énergie climat. Ce même argument a été utilisé pour hâter, et le terme est faible, la conclusion de l’examen du Grenelle I.

Est-ce à dire qu’il faudrait accepter à tout prix ce qui nous est présenté comme la seule solution aux enjeux qui sont devant nous ? Ces textes ne font pas consensus, aujourd’hui, sur le plan européen. Ainsi, l’Italie et la Pologne notamment demandent des changements fondamentaux des directives du paquet : «Il est insupportable, il demande des changements profonds» a déclaré la ministre italienne de l’environnement.

Et un accord a minima serait contre productif s’il ne répondait pas aux enjeux auxquels notre planète est confrontée. C’est aussi ce que craignent la plupart des associations parties prenantes du « Grenelle de l’environnement ».

D’autres regrettent le manque d’ambition de l’objectif que s’est assigné l’Union européenne en matière de réduction des gaz à effet de serre. Certes le dernier rapport du GIEC recommande pour les pays industrialisés, une réduction comprise entre 25 et 40% de leurs émissions pour 2020. Réduction qui a été acceptée par l’Union européenne lors de la dernière conférence des parties prenantes au protocole de Kyoto, qui s’est tenue à Bali en 2007.

Il est vrai également, que la loi du 13 juillet 2005 fixant les orientations de la politique énergétique appelée loi «POPE», engage la France à diminuer de 3% par an ses émissions de GES d’ici 2020.

Mais cette bataille de chiffres n’est-elle pas secondaire, face à une autre question plus fondamentale : les mesures contenues dans le paquet « climat énergie » sont-elles de nature à permettre une réduction de 20% des émissions de gaz à effet de serre ? Question importante quand on voit l’évolution des émissions de GES dans les principaux pays développés ces dernières années.

Et question à laquelle il faut ajouter un constat : la maîtrise de la consommation énergétique est présentée comme un objectif central et comment ne pas partager cette analyse. Pour autant, isolée du reste, elle pourrait signifier une augmentation des GES, si on ne veillait pas aux modes de production et à la réduction de l’utilisation des énergies fossiles. Ce qui pose évidemment la question des énergies renouvelables mais aussi, et pour longtemps encore, celle du développement de la production d’électricité d’origine nucléaire.

Mais surtout, comment ne pas s’interroger sur le système d’échanges de quotas d’émissions de gaz à effet de serre, mis en place en 2005 et qui a largement démontré ses insuffisances et ses défauts. Et ce n’est pas la proposition de la Commission Européenne d’étendre ce dispositif et de centraliser sa gestion au niveau européen qui va inverser la donne.

On sait les limites de ce dispositif et ses conséquences, dès lors que la taxe ainsi prélevée est répercutée sur l’ensemble de la filière, donc sur les prix.

Cela reviendrait à accroître la charge pesant sur les ménages dont on connait, pour leur grande majorité, les difficultés de pouvoir d’achat. La commission a évalué le coût du paquet à « 3 euros par citoyen et par semaine » d’ici 2020. Cela correspond à une facture d’un peu plus de 842 milliards d’euros, soit 70 milliards d’euros par an, ou encore 0,5% du PIB européen. Ce sont des sommes considérables !

Et le risque est grand que la lutte contre le réchauffement climatique se fasse, dans notre pays, au détriment des financements nécessaires à l’ensemble des dispositifs de protection sociale. Ainsi, le projet de loi Grenelle 1, adopté par l’Assemblée Nationale, prévoit que la contribution dite climat énergie sera strictement compensée par une baisse des prélèvements obligatoires – les fameuses « charges » patronales qui contribuent à la protection sociale – de façon à préserver la compétitivité des entreprises. Ainsi c’est la protection sociale qui ferait les frais de cette opération.

Au lieu de poursuivre dans ce seul objectif, ne faudrait-il pas envisager d’autres voies ? Ainsi, une taxation sur les transactions financières qui contribuerait utilement à faire face, aux niveaux européen et international, aux besoins d’investissement ? Faut-il rappeler que les seuls « paradis fiscaux » abritent, selon les magistrats qui mènent des enquêtes à leur sujet, entre 1000 et 1600 milliards d’euros qui échappent à toute fiscalité !

D’ailleurs, peut-on défendre l’environnement en faisant des quotas de pollution un marché dominé par les plus riches et favorisant le dumping environnemental ? Trente ans de dérégulation et de promotion du libre échange ont organisé la concurrence libre et non faussée entre pays aux niveaux de protection sociale et environnementale radicalement différents. Les grandes firmes ont pu délocaliser leurs activités, au point que 20% des émissions mondiales de gaz à effet de serre sont aujourd’hui le fait de produits fabriqués dans les pays en voie de développement mais consommés dans les pays riches.

Les patronats des branches concernées ont évidemment alerté sur les risques de délocalisation, demandé que des compensations leur soient apportées et que des délais supplémentaires leur soient accordés, comme ce fut le cas pour le secteur énergétique qui dispose de quotas gratuits jusqu’en 2013. Certains demandent à juste titre l’inscription dans le paquet «climat énergie» de mesures de protection des entreprises européennes les plus exposées.

Les Etats eux-mêmes mettent en avant leurs contraintes, en particulier ceux dont l’activité industrielle est fortement dépendante du charbon ; ils demandent des délais supplémentaires et des compensations financières avec une autre répartition des milliards d’euros que rapporterait, au niveau européen, le système des quotas.

A cela s’ajoutent les conséquences de la crise et ses impacts sur l’activité économique : ainsi, la volonté américaine de « défendre » son industrie automobile menacée trouve des échos en Europe… Fin septembre, Angela Merkel annonçait qu’elle ne cautionnerait pas « la destruction d’emplois allemands du fait d’une politique inappropriée sur le climat ». Ce qui serait tout à fait inapproprié, c’est que les dispositions prises au niveau de l’UE en matière d’émissions de GES ne soient pas appliquées aux importations provenant de pays tiers ne respectant pas les mêmes règles. Je pense évidemment à l’industrie automobile, mais au-delà, à toutes nos filières qui seraient compromises par une application « libérale » du dispositif.

Dans ce contexte, il n’est évidemment pas question d’accepter une «union sacrée» autour des propositions qui se situeraient dans le cadre européen actuel.

Deux constats à ce sujet :

  • d’une part, la poursuite dans la voie de la libéralisation à marche forcée ne permet pas de répondre aux urgences écologiques auxquelles nous sommes confrontés,
  • d’autre part, le productivisme capitaliste détruit les 2 sources de la richesse sociale : le travail par l’exploitation effrénée, la nature et les ressources naturelles par leur pillage et leur gaspillage.

Dès lors, le combat est clair : un autre mode de croissance et de développement tout à la fois durable et soutenable, social et solidaire, n’est possible qu’en s’affranchissant des politiques libérales européennes et internationales actuelles. Or dans le système qui nous est proposé, même le CO2 est considérée comme une marchandise, ce n’est pas acceptable.

Nous estimons qu’il est possible et nécessaire de construire une autre Europe en intégrant le dépassement de la crise écologique comme l’un des éléments majeurs de la transformation sociale.

Il faut tout d’abord tirer un bilan des politiques de dérégulation menée depuis Maastricht libéralisant le secteur énergétique et enfonçant les secteurs publics dans la privatisation et la concurrence. Ont-elles été efficaces ? Sont-elles acceptées par les peuples ? Si on en juge par l’état actuel des différents réseaux européens (ferroviaire, telecom, poste …), et par les votes lors des référendums sur le projet de constitution européenne, du moins pour ceux qui ont eu la chance de pouvoir voter : non. On ne peut défendre l’environnement sans faire des services publics, le bras armé de cette ambition : L’eau, l’énergie, les déchets, la biodiversité sont des biens communs qui doivent échapper à toute marchandisation, comme l’école, la santé ou la recherche.
Je rappelle notre demande de création, dans notre pays, d’un pôle public de l’énergie.
De plus, la lutte contre le réchauffement climatique, nécessite un effort plus important de la part des pays industrialisés. En 2005, L’Union européenne était le 3ème émetteur mondial de CO2, derrière la Chine et les Etats Unis. 4 pays européens (Allemagne, Royaume Uni, Italie et France) représentent la moitié des émissions européennes. Il faut que ces grands pays montrent l’exemple à l’égard des pays émergents. Mais il faut également mettre en place des financements pour les aider à s’équiper de technologies propres, peu productrices de gaz à effet de serre. Le paquet climat énergie pourrait être l’occasion de démontrer que l’Europe n’a pas seulement vocation à être un outil économique mais aussi un outil de solidarité dans les rapports nord sud.

Un programme de grande ampleur de recherche et de production d’énergies renouvelables doit être mené afin de remplacer progressivement les énergies fossiles. A ce sujet, ne convient-il pas de ne pas donner suite aux projets de centrales privées, à charbon, qui fleurissent avec la libéralisation du secteur ? Le Grenelle a prévu de les obliger à prévoir les locaux permettant de recevoir les dispositifs à mettre en œuvre quand le captage et la séquestration du C02 seront possible, mais est-ce sérieux de procéder ainsi ? Ne faudrait-il pas décider qu’aucune nouvelle centrale à charbon ne saurait être construite sur notre territoire tant que ces dispositifs ne seront pas opérationnels ?

Il faut promouvoir un nucléaire sécurisé, par la recherche, la transparence, la démocratie, en rappelant qu’il s’agit d’une énergie non carbonée, indispensable aux côtés des énergies renouvelables pour, à la fois, tenir les objectifs d’émissions de GES et permettre de répondre aux besoins de nos sociétés.

A l’opposé d’approches libérales, nous pensons aussi que l’heure est à une coordination des politiques énergétiques au niveau européen. C’est la raison de notre proposition de création d’une Agence Européenne de l’Energie ayant le triple objectif de :

  • veiller à la sécurité des approvisionnements,
  • permettre à l’Europe et aux Européens de disposer de l’énergie nécessaire,
  • mais aussi de faire respecter les dispositions environnementales au niveau de l’UE.

Et parce que nous considérons que l’électricité fait partie des biens communs, nous voulons que la maîtrise publique de ce secteur s’exerce à tous les niveaux, du national, avec un pôle public de l’énergie, au mondial, avec une Agence Mondiale de l’Energie veillant à ce que personne sur terre ne manque de ce bien, nécessaire à la vie.

Le Grenelle de l’environnement doit réellement être mis en œuvre, en surmontant ses insuffisances, en particulier dans le domaine des transports.

Bien évidemment pour financer toutes ces mesures, il faut de l’argent. Des solutions existent, j’ai déjà parlé de mettre à contribution les transactions financières, mais pas seulement. Les institutions financières européennes, – BCE et BEI – ont un rôle éminent à jouer. L’appropriation sociale des circuits financiers et de l’utilisation du crédit, avec la création en France d’un «pôle financier public», mais aussi la lutte pour une orientation de l’argent et du crédit vers des investissements, des productions et des services utiles fondés sur de nouveaux critères d’efficacité sociale et environnementale.

Au moment où la France a décidé de mettre des sommes colossales à la disposition des institutions financières, sans s’impliquer dans leurs choix de gestion, alors que la crise financière a mis en évidence l’existence de moyens financiers considérable, qui ne servent qu’à la spéculation et que le rôle des organismes financiers européens et mondiaux est sur la sellette, il est urgent de rappeler qu’une autre utilisation de l’argent est nécessaire si l’on veut aussi extraire la lutte pour l’avenir de la planète, des logiques à court terme du libéralisme. En ce sens, cette bataille rejoint celle qui vise la justice sociale. C’est une bataille authentiquement progressiste.