Contribution de Daniel PAUL

Contribution de Daniel PAUL

Contribution de Daniel PAUL et du groupe des députés Communistes et Républicains, au rapport de la mission d’information sur l’amiante.

Comment a-t-on pu en arriver là ?

Pourquoi a-t-il fallu attendre 1997 pour que notre pays interdise l’importation et l’utilisation de l’amiante ? Pourquoi aucun réseau n’a-t-il alerté les autorités publiques sur l’ampleur de la catastrophe, alors que la dangerosité du produit était connue ? Pourquoi la Communauté Européenne n’a-t-elle pas interdit l’amiante avant le 1er janvier 2005 ? Pourquoi seulement 37 pays – dont les 25 de la CE – ont-ils prononcé cette interdiction, ce qui permet aux groupes industriels mondiaux de jouer de ces différences ? Pourquoi tant de difficulté pour obtenir une juste indemnisation ? Pourquoi le procès de l’amiante est-il toujours refusé aux victimes ? Pourquoi la misère des outils de santé publique, avec l’insuffisance scandaleuse de médecins et d’inspecteurs du travail ? Pourquoi ….

Toutes ces questions, et bien d’autres, justifiaient la création, par l’Assemblée Nationale, d’une véritable « commission d’enquête » sur l’amiante. On sait la réponse reçue… Dans le cadre qui lui était imparti, le travail de la « Mission d’information » a répondu à plusieurs questions et éclairé des aspects nouveaux. Pour autant, certains points soulèvent problème.
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1- Ainsi, on ne peut accepter l’idée, transversale de la première partie du rapport, que l’utilisation de l’amiante aurait fait l’objet d’une sorte de « consensus collectif », que l’Etat, le Patronat, les représentants des salariés, les scientifiques partageraient, finalement, une même responsabilité.

Car, qui avait – et a toujours – la responsabilité d’attribuer les moyens suffisants à la recherche scientifique, à l’utilisation de tous les éléments qui, à travers le monde, permettaient de tirer la sonnette d’alarme, sinon l’Etat ? Qui aurait dû instaurer, à partir de ces connaissances, des règles strictes, interdire les produits dangereux, imposer et contrôler la mise en place de mesures de protection pour les salariés et les populations environnantes, sinon l’Etat ?

Qui a, depuis plus d’un siècle, la responsabilité de mettre en œuvre les mesures assurant la sécurité au travail, sinon le chef d’entreprise ? L’obligation de « dépoussiérer les lieux de travail » n’est-elle pas inscrite dans les textes depuis la fin du 19ème siècle ? Faut-il rappeler que dans le cadre de la mise en œuvre de la directive européenne du 12 juin 1989 (loi du 31 décembre 1991), tous les employeurs sont tenus de réaliser l’évaluation des risques et facteurs de risques professionnels ? Et quand le MEDEF, lors de la table ronde du 28 septembre 2005, indique que, sans risque, il n’y pas de création de richesses, n’est-on pas toujours dans la même logique que celle qui a prévalu tout au long du 20ème siècle ?

Ainsi une logique patronale a pu perdurer et s’imposer, tant l’Etat n’a pas su et/ou pas voulu prendre les décisions en termes d’orientations et en termes de moyens, afin d’améliorer la protection des salariés, d’où sa condamnation, en 2004, dans l’affaire de l’amiante.

Il n’est pas juste de mettre à égalité les uns et les autres et de faire porter aux salariés la moindre responsabilité dans cette affaire !

2- D’autant que l’histoire n’est pas finie ! Car cet amalgame entretenu permet au MEDEF de tenter de peser pour accentuer un transfert vers la branche maladie de la Sécurité sociale, c’est-à-dire la solidarité nationale, de ce qui relève de la branche « Accidents du travail – maladies professionnelles », et ainsi de faire oublier que cette cotisation « AT-MP » n’est rien d’autre qu’un salaire différé.

Cette volonté permanente procède bien de l’idée que les risques au travail, , comme les responsabilités, malgré toutes les avancées obtenues, seraient à partager, par les salariés concernés, mais plus largement par la société tout entière ! Dès lors, la réparation intégrale souhaitée par toutes les victimes est ignorée, 15 milliards d’euros sont transférés de la branche « AT-MP » vers le régime général, MEDEF et Etat s’accompagnant à chaque vote du budget de la Sécurité Sociale, dans ce détournement de responsabilité et de cotisations.

Si on peut soutenir l’idée d’un doublement « au minimum » de la participation de l’Etat aux fonds d’indemnisation des victimes, cela ne vaut que si, parallèlement, est exigé et obtenu le respect de la pleine responsabilisation des entreprises dans la prise en charge de la branche AT-MP, sauf à accélérer le transfert de charges.

3- Le rapport évoque à diverses reprises le plan « Sante au travail » qui couvre la période 2005-2009. Or, comment ignorer les limites de ce plan ? Qu’il s’agisse du non respect par l’Etat-employeur et des collectivités locales des règles relatives aux risques et donc à la prévention, ou qu’il s’agisse des moyens nécessaires au corps de l’Inspection du travail pour exercer ses missions, le moins que l’on puisse dire, c’est que ce plan n’assure ni la volonté, ni les moyens de faire face aux enjeux ! Ainsi, il faudrait une augmentation forte des moyens de l’Inspection du Travail et la pleine reconnaissance de son autorité, par les chefs d’entreprises, mais aussi par l’autorité publique elle-même. Or, au rythme actuel, il faudra plus de 30 ans pour atteindre les effectifs jugés nécessaires aujourd’hui : le rattrapage doit être accéléré pour être visible, efficace et l’indépendance des Inspecteurs du Travail, donc l’arrêt des désaveux par le ministre de leurs décisions, témoignerait de la volonté de l’Etat de tirer enfin les leçons du passé. Dès lors, comment dire que l’Etat doit « renforcer les effectifs de contrôle de l’inspection du travail », alors que le plan « santé au travail », pour 2005-2009, prévoit seulement l’affectation de 30 postes aux services déconcentrés, (18 postes d’ingénieurs et 12 postes d’inspecteurs).

4- Il faut aussi insister sur les conséquences à tirer de la faillite de l’Etat. A juste titre, le rapport rappelle que la santé au travail est partie prenante de la santé publique. On peut, certes, soutenir l’idée de créer un service public de santé au travail, sous la tutelle de l’IVS, mais quelle assurance cela donne-t-il de son indépendance ? Quelle certitude cela apporte-t-il que les moyens suivront, avec la mise en place d’un plan pluriannuel de créations de postes et d’attribution des ressources budgétaires ? Comment ne pas être sceptique devant les conséquences, visibles, du dogme de la réduction de la dépense publique ?

5- Les débats autour du programme REACH ont mis en évidence l’existence de milliers de produits susceptibles d’affecter la santé de leurs utilisateurs, dont les travailleurs figurent au 1er rang. Or, l’affaire de l’amiante nous interdit dorénavant de laisser les intérêts économiques prendre le pas sur la logique de santé publique : dans la gestion du risque chimique, le principe devrait être « pas de données, pas de marché ». Quelles conséquences tirer aussi du développement des nanomatériaux, dont certains se substitueraient à l’amiante, alors que l’on commence à peine à percevoir certaines nuisances ? Comment prétendre que la recherche sera développée dans ces domaines, quand on voit, année après année, la misère du budget consacré à la recherche ?

6- Sans nul doute, nous aurons à gérer, pendant de longues années, le problème de l’amiante captive. La question est donc bien de connaître son existence et d’alerter sur les précautions à prendre en cas, par exemple, de travaux sur les locaux. C’est tout l’enjeu du diagnostic amiante et des travaux de désamiantage.